Que peut faire un maire contre le massacre des espèces menacées ?

La planète subit actuellement sa 6e extinction de masse, et le dernier rapport de l’IPBES est pour le moins effrayant : du fait de l’impact humain sur la nature, jusqu’à 1 million d’espèces sont menacées de disparition…

Tourterelle des bois © Richard Holding

Face à cette situation sans précédent, le bon sens voudrait que les politiques soient tournées vers la préservation du vivant sous toutes ses formes. Hélas, les chasseurs de France, qui ont de nombreux soutiens jusqu’au sommet de l’État, ne sont pas prêts à poser les fusils, même pour les espèces menacées comme l’alouette des champs, la tourterelle des bois, le lagopède alpin ou encore le grand tétras…

Si l’État ne fait rien, ou presque, que peut faire un élu au niveau local ? Nous, citoyens, considérons que les maires ont un réel rôle à jouer pour préserver la biodiversité. Aussi, au titre du principe de précaution, un maire pourrait envisager de faire pression auprès du préfet afin de ne pas autoriser la chasse d’une espèce qui serait menacée au niveau national, ou au niveau local sur sa commune. Il serait alors bienvenu de consolider sa décision à l’aide d’études scientifiques menées sur le territoire communal.

Les précisions des juristes…

La France a des engagements internationaux et européens en matière de conservation des espèces de faune sauvage par le biais de la Convention de Berne de 1979, de la Directive Oiseaux de 2009 et de la Directive Habitats de 1992. Elle a l’obligation de maintenir la population des espèces visées dans un état viable. Or nombre d’espèces sont en déclin alors qu’elles continuent d’être chassées.

Pour le courlis cendré par exemple, la Commission européenne a ouvert une procédure d’infraction à l’encontre de la France puisque celle-ci avait autorisé la chasse de ce limicole pourtant en mauvais état de conservation. Le Conseil d’État, saisi par la LPO, a d’ailleurs suspendu l’arrêté ministériel du 31 juillet 2019 relatif à la chasse du courlis en France métropolitaine pendant la saison 2019-2020, par un référé le 26 août 2019 : « le moyen tiré de ce que l’arrêté attaqué méconnaît le plan international d’action établi dans le cadre de l’accord sur la conservation des oiseaux d’eau migrateurs d’Afrique-Eurasie et les objectifs résultant des articles 2 et 7 de la directive n° 2009/147/CE du 30 novembre 2009, transposée notamment à L. 424-1 du code de l’environnement apparaît, en l’état de l’instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté litigieux. »

En outre, voici quelques exemples de jurisprudences mettant en avant la nécessaire protection des animaux menacés :

LOUPS. Arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, 10 octobre 2019, Tapiola : « Il importe, dans ce contexte, de souligner également que, conformément au principe de précaution consacré à l’article 191, paragraphe 2, TFUE, si l’examen des meilleures données scientifiques disponibles laisse subsister une incertitude sur le point de savoir si une telle dérogation nuira ou non au maintien ou au rétablissement des populations d’une espèce menacée d’extinction dans un état de conservation favorable, l’État membre doit s’abstenir de l’adopter ou de la mettre en œuvre. »

PIGEONS A COURONNE BLANCHE. Jugement du tribunal administratif de Basse-Terre, n°1800780 du 19 février 2018 : « Dans ces circonstances, compte tenu des connaissances scientifiques actuelles, la chasse du pigeon à couronne blanche en Guadeloupe et à Saint-Martin apparaît susceptible de menacer gravement le maintien de l’espèce sur ces territoires. Par suite, en autorisant cette chasse dans les conditions sus rappelées, le préfet de la Guadeloupe, représentant de l’État à Saint-Martin, a commis une erreur manifeste d’appréciation dans l’application du principe de précaution résultant de l’article 5 de la Charte de l’environnement et de l’article L. 110-1 du code de l’environnement. »

GRANDS TÉTRAS. Arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux 4ème chambre, n°16BX02645 du 15 février 2019 : « Dans ces conditions, les prélèvements autorisés par l’arrêté en litige, même limités, sont de nature à compromettre les efforts de conservation de l’espèce des grands tétras dans les zones concernées. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a annulé l’arrêté du préfet des Hautes-Pyrénées du 25 septembre 2014 en tant qu’il autorise le prélèvement de 19 grands tétras au cours de la campagne de chasse 2014-2015. ». Malgré cette jurisprudence, la préfecture des Hautes-Pyrénées a encore autorisé pour la saison 2019-2020 la chasse au grand tétras… en toute illégalité. Les associations locales ont donc saisi le juge des référés du tribunal administratif de Pau.

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